Layali sourour - Cheikh Raymond

RAYMOND RAOUL LEYRIS

 

Ses maîtres s'appelaient Abdelkrim BESTANDJI et Omar CHAKLEB. Si ces deux érudits et ses pairs l'ont élevé au rang de "Cheikh", c'est qu'à force d'abnégation et de travail sans relâche, Raymond LEYRIS a mérité sa place dans le cercle bien fermé des "Chouyoukhs" du malouf constantinois. Si ce cercle composé principalement d'excellents troubadours arabes a adopté et accepté ce jeune juif, par ailleurs âgé de seulement 23 ans, c'est qu'ils ont exprimé par là leur reconnaissance de sa maitrise et du respect qu'il voue à cet art qu'est la musique arabo-andalouse.
 
Raymond LEYRIS est né  le 27 Juillet 1912 d'un père juif chaoui de Batna qui répondait au prénom de Jacob et d'une mère française, prénommée Céline. A la mort de Jacob sur le front de la somme pendant la grande guerre 14-18, et avant de quitter Constantine, Céline le confie par le biais de l'assistance publique à Maîma et David HALIMI, un couple juif qui s'occupe de lui et lui inculque les vraies valeurs de l'humanité que sont l'humilité et le respect de Dieu.
 
Tout adolescent, sa voix "de Dieu disait-on!!", douce, tendre et forte faisait les beaux jours des synagogues où il récitait les chants religieux. C'est à partir de là qu'il découvre sa vraie vocation pour le chant. Et c'est en autodidacte solitaire qu'il commence sa quête des sources et des essences de cette culture musicale dont il percera tous les secrets.
Très épris de la richesse des mélodies et des textes, et conscient de la difficulté que représente leur restitution en parfaite diction, il n'hésite pas quelquefois à parcourir de longs kilomètres pour découvrir et apprendre de nouvelles œuvres. "El hafdh" est l'un de ses atouts majeurs. En effet, il lui suffit de lire un texte une ou deux fois pour le graver à jamais dans sa mémoire.
La dextérité et la délicatesse avec lesquelles il joue de sa "Richa" (plume d'aigle en guise de médiator) pour faire vibrer les cordes de son "Oud"  font remarquer à ses maîtres qu'ils ont à faire à un être surdoué, passionné de cette musique, et un futur "Cheikh". Ils ne se sont pas trompés car le jeune Raymond est animé d'une inépuisable volonté et surtout d'une foi et d'une ferveur mystiques héritées des HALIMI :"une âme d'artiste".
Ceci est la pure et sincère nature qui caractérisait Raymond. A titre d'exemple, il a été rapporté qu'il restait admiratif pendant de longues minutes devant un simple mur que construisaient des maçons.
L'adultérin "Batni" (de Batna) d'hier était prédestiné à devenir une icône de l'harmonie entre les communautés constantinoises de l'Algérie française, un rabbin, un cheikh, un chanteur de Dieu ..................................

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Constantine s'étend sur un plateau rocheux situé à 649 mètres d'altitude. Son climat continental se caractérise par une chaleur qui peut atteindre jusqu'à 45° en été. Le jeudi 21 Juin 1961, sous un soleil de plomb, Viviane (la sœur de Suzy, future épouse et plus tard malheureuse veuve de Jean Claude, le frère d'Enrico), part rejoindre son père parti plus tôt au palais de justice, pour le retrouver au marché.
Après quelques pas effectués avec lui, elle prend juste conscience que la grande main de Raymond qui tient la sienne commence à se desserrer et la lâcher doucement. Il est midi, nous sommes entre la mosquée et le tribunal de Constantine. Juste là où, il y a 47 ans, Céline le confiait à Maïma HALIMI. Agé d'à peine 48 ans, Cheikh Raymond vient d'être assassiné. A  peine arrivé à l'hôpital, le décès est constaté. On vient d'oter la vie à un symbole de l'amitié, de la fraternité et de l'amour de Dieu.

Tombe de Raymond Leyris
cimetière juif de Constanine

 

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A l'issue d'un voyage à Constantine auquel des amis bônois de Paris nous ont conviés en Juin 2003, et à l'écoute des différents témoignages de Constantinois, il nous a été donné de constater que l'assassinat de Raymond est un sujet tabou. Toutefois, une affirmation qui revenait souvent porte à croire que son assassin serait devenu fou juste après son acte lâche et qu'il serait mort. Difficile d'évoquer l'existence de réalités transcendantes autour de la vie de Raymond. Néanmoins, après El Hadj Mohamed Tahar FERGANI, la majorité des Constantinois avertis s'accordent à dire que Cheikh Raymond est un grand maître du malouf et que c'est grâce à son travail et son enseignement et ceux d'autres "Chouyoukhs" que cette musique orale a continué d'exister et se perpétuer à travers le temps et l'espace pour devenir un art intemporel et "transgénérationnel".
Toujours à Constantine, un sexagénaire dont l'oreille indiscrète nous a entendu parler de Raymond, nous invite généreusement chez lui pour manger une "Ch'titha", la danseuse comme il aime à le traduire. ("Ch'titha est un succulent plat persillé à base de poulet, d'olives et d'œufs et son nom viendrait du verbe "Ch'tah" qui veut dire danser). Puis, il nous confie qu'il a en sa possession de vieilles "bandes magnéto" de Raymond, que son neveu est en train de les numériser et que, nous le citons: " Si Dieu le veut, seul Enrico MACIAS pourra les avoir".
Il s'agit là d'un sincère témoignage de gratitude et de l'expression d'un sentiment de respect à l'égard de Raymond et de son héritier. 

A l'initiative de Monsieur Jacques LEYRIS, les éditions "Al Sur" ont publié à partir de 1994, une série de 4 CD du concert de malouf donné par Cheikh Raymond à l'université de Constantine en 1954. Ces enregistrements ont été réédités en 2006 par les productions "SUAVE". A avoir et à écouter absolument.
 
Madame Viviane continue à sa façon de perpétuer la tradition de la musique arabo-andalouse en organisant des mini-concerts dans les synagogues parisiennes et ailleurs.
 
Enfin, le 12 Mars 1999, le centre culturel algérien à Paris organise un concert à la mémoire de Cheikh Raymond. Enrico doit annuler un concert aux Etats Unis pour y assister avec Monsieur Jacques LEYRIS. Ce dernier aura l'occasion de faire un discours en hommage à son père où Abdelkrim BESTANDJI, FERGANI, Sylvain Ghrenassia, Yehudi MENUHIN et bien d'autres auront droit de cité. Il soulignera l'importance que représente cette musique dans la vie d'Enrico et que "Mon chanteur préféré" est une des chansons phares de sa carrière.
   

JN

 

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